De la singularité de la « sotte entreprise »

Abstract

L’article aborde la double nature du « sot projet » de Montaigne, celle de se connaître en s’essayant et celle de se peindre à la plume. En traitant brièvement quelques éléments du plan philosophique des Essais tout d’abord, il nous semble fondé de rapprocher certains aspects de l’herméneutique du sujet montagnienne des théories non-égologiques de la conscience de soi. À la base d’une critique du modèle réflexif, celles-ci conçoivent l’individualité en tant que non-identité événementielle, possédant néanmoins une familiarité-à-soi non relationnelle liée à la conscience préréflexive. L’aperçu de Montaigne sur le devenir perpétuel de l’individu, de même que ses vues sur le langage sont ensuite mis en lumière par le postulat de Benveniste de la constitution intersubjective et événementielle de la subjectivité dans le discours. Dans la deuxième partie, nous abordons le plan de l’autoportrait où se configure le sujet du discours littéraire. Les thèses d’Henri Meschonnic sur l’extension du sujet d’énonciation benvenistien à l’organisation entière du discours littéraire par le rythme spécifiquement conceptualisé sont liés aux modes préréflexif et corporel de la configuration littéraire, ainsi qu’à la conception du style de Schleiermacher par lequel la conscience préréflexive se manifesterait dans le texte poétique. Nous suggérons que les constatations sur la nature de l’individu en perpétuel devenir avancées sur le plan philosophique des Essais, se trouvent simultanément articulées dans la chair verbale du texte grâce aux formes spécifiques de signifiance. La singularité des Essais se constitue précisément dans le dialogue entre le « constatif » et le « performatif » de leur texture hybride. De plus, il semble que les Essais anticipent la conception du sujet du discours littéraire par l’idée de »consubstantialité« du livre et de son auteur. D’une manière tout à fait singulière, leur nature hybride indique qu’il est impossible de postuler la singularité de la littérature conçue comme événement, sans supposer préalablement une autre singularité, à savoir celle de ses sujets. Cette singularité est double : tout d’abord la singularité de l’individu qui s’inscrit dans toute énonciation littéraire par la subjectivisation maximale du discours en introduisant des formes inédites de signifiances et de sens. Et deuxièmement : la singularité du sujet de l’écriture en tant que fonction et activité dans la multitude de fonctions – sujets de l’individu moderne.